vendredi 19 février 2010

LE PROJET DE REFORME DE LA GARDE A VUE INCONVENTIONNEL AVANT MÊME D'ÊTRE VOTE !

L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950 (ratifiée par la France en 1974 et qui, en vertu de l'article 55 de la Constitution, a une autorité supérieure à celle des lois), pose le principe du procès équitable. Sur le fondement de cet article, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré (voir, sur ce blog, les arrêts cités dans un message antérieur) que "le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d'office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable". La Cour ajoute que "l'équité d'une procédure pénale requiert d'une manière générale, aux fins de l'article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire. Comme le soulignent les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu'il est privé de liberté pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu'il subit. En effet l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil. À cet égard la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer". (CEDH Dayanan c. Turquie n° 7377/03 du 13 octobre 2009). Afin de contourner cette jurisprudence et la pratique judiciaire qui se développe actuellement d'annulation des procès-verbaux rédigés dans le cadre de la garde à vue, le gouvernement, par l'intermédiaire de la garde des sceaux, propose (reprenant ainsi pour partie les suggestions de la commission Léger) une garde à vue à deux vitesses c'est-à-dire d'une part, le maintien de la garde à vue actuelle (avec quelques aménagements mineurs, qui ne sont pas susceptibles de rendre la garde à vue conforme aux exigences de la Convention) et d'autre part, une garde à vue "allégée" appelée "rétention judiciaire" (qui serait plutôt une "rétention policière", donc en définitive, une garde à vue !) pour les infractions punissables d'un emprisonnement inférieur à cinq ans (par conséquent, s'appliquant en priorité aux infractions commises dans le monde des affaires). Cette "rétention judiciaire" aurait une durée de 6 ou 4 heures (la ministre a varié) et les personnes interpellées seraient "entendues librement" (sic), (le rapport Léger indique [p.21] que "toute personne soupçonnée d'une infraction pour laquelle la peine d'emprisonnement est inférieure à cinq ans [pourra] être placée, si la contrainte est nécessaire, en retenue judiciaire", forme de garde à vue qui ne veut pas dire son nom), sans avocat (selon la ministre) par la police ou par la gendarmerie. Si la personne préfère être assistée d'un avocat, elle est alors soumise à la procédure actuelle de garde à vue. Ce projet ne repecte pas les exigences de la Convention. En effet, le droit à l'assistance d'un avocat disposant des prérogatives indiquées dans l'arrêt précité doit, selon la Cour européenne des droits de l'homme, bénéficier à tout suspect dès lors qu'il est soumis à une procédure contraignante privative de liberté (rappelons que la définition de la garde à vue est la suivante : "rétention d'une personne dans les locaux des sevices de police ou de gendarmerie pour les besoins de l'enquête" (P. Canin, Droit pénal général, Coll. Les Fondamentaux, éd. Hachette, 5ème édition, 2009, p. 121). Le fait de faire dégénérer une "rétention judiciaire" en garde à vue si le suspect entend bénéficier d'un avocat constitue un moyen de sanctionner celui qui souhaite rendre effectifs les droits de la défense, éléments fondamentaux dans un Etat de droit. Et le risque de détournement de la mesure est flagrant (voir à ce propos le rapport Léger, p. 21). Que de tergiversations de la part du gouvernement pour ne pas appliquer une convention dont la France est l'une des "Hautes Parties contractantes" ! En droit international public, le principe est que les Etats doivent respecter et exécuter de bonne foi les traités (pacta sunt servanda), sous peine d'engager leur responsabilité internationale et de s'exposer à des sanctions. Outre une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, les conséquences sont d'une part, que les procès-verbaux établis en garde à vue ou en "rétention judiciaire" soient annulés (ce que font déjà certaines juridictions nationales lors de l'exercice du contrôle de conventionnalité) et d'autre part, que ceux qui ont placés et maintenus des citoyens en garde à vue ou en "rétention judiciaire" soient poursuivis pour détention arbitraire. Enfin, les conditions matérielles déplorables de garde à vue constituent une violation flagrante des dispositions de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme interdisant les "peines ou traitements inhumains ou dégradants".

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