vendredi 2 mai 2008

LE CODE DES MARCHES PUBLICS
S'APPLIQUE-T-IL A VALENCE ?



Lors de sa séance du 28 avril 2008, le conseil
municipal de Valence a, par délibérations, rejeté
trois avenants (l'un concernant les études de
maîtrise d'oeuvre, les autres des travaux
supplémentaires ou de conformité) relatifs à
des marchés de travaux publics conclus pour le
chantier des grands boulevards, au motif que la
commission d'appel d'offres (composée du maire
ou de son représentant et de cinq membres de
l'assemblée délibérante) avait émis des avis
défavorables à leur adoption.

Ces décisions du conseil municipal donnent
l'occasion de rappeler (en dehors de toute
polémique) certains principes de passation
des marchés publics, qui semblent méconnus
des membres de ladite assemblée.



ANALYSE CONCEPTUELLE

En l'absence de définition légale, ce sont la
jurisprudence et la doctrine qui ont défini la
notion d'avenant. Celui-ci est "un contrat écrit
constatant l'accord de volonté des parties au
marché et portant modification d'une ou plusieurs
clauses de ce dernier. Son caractère bilatéral est
une caractéristique fondamentale de l'avenant"
(Chr.Lajoye, Droit des marchés publics, Gualino,
3ème édition,2008, p. 233).

L'avenant se distingue, par conséquent, d'autres
notions : la modification unilatérale (qui est
l'ordre de service adressé par le maître de l'ouvrage
à l'entrepreneur), la décision de poursuivre (qui
est l'ordre [prévu dans le contrat] donné par le
maître de l'ouvrage de poursuivre l'exécution des
travaux au-delà du montant prévisionnel), les
marchés complémentaires ou similaires.



ANALYSE FONCTIONNELLE

Les avenants doivent avoir le même objet que le
marché initial afin d'assurer la suite de l'exécution
du marché.
Mais ils peuvent cependant être correctifs
(rectification d' erreurs ou omissions purement
matérielles).



VALIDITE

L'article 20 du Code des marchés publics dispose :

"Sauf sujétions techniques imprévues ne résultant
pas du fait des parties, un avenant ou une décision
de poursuivre ne peut bouleverser l'économie du
marché, ni en changer l'objet".

Exégèse du texte :

1 - "Sauf sujétions techniques imprévues ne résultant
pas du fait des parties" :

En effet, la règle selon laquelle l'avenant ne peut
bouleverser l'économie du marché ni en changer
l'objet reçoit exception dans le cas de telles sujétions.

Celles-ci ne doivent pas résulter "du fait des parties"
(la faute ou la négligence de celles-ci : voir CE 12
mai 1982, Société des autoroutes Paris-Rhin-
Rhône), donc elles doivent leur être extérieures
et être imprévisibles (c'est-à-dire dépasser les
aléas normaux d'exécution du marché).


2- "...un avenant... ne peut bouleverser l'économie du
marché..." :

En effet, l'avenant ne saurait avoir pour objet ou pour
effet de remettre en cause les règles de conclusion
des marchés publics (publicité, mise en
concurrence, égalité de traitement des entreprises).

La question qui se pose alors est celle de savoir
quand un avenant peut être considéré comme
bouleversant "l'économie du marché".

En l'absence de toute précision légale chiffrée, les
juridictions administratives, et tout particulièrement
le Conseil d'Etat, disposent d'une liberté
d'appréciation.
Tout est affaire d'espèce, c'est-à-dire des
circonstances de la cause.
Cette appréciation est tout à la fois d'ordre
quantitatif et d'ordre qualitatif. En effet, comme
le relève l'auteur précité, "il faut donc procéder à
une évaluation des effets quantitatifs de l'avenant
ou à une analyse de sa portée sur le marché initial.
Le montant sur lequel porte l'avenant constitue
tout au plus un indice du bouleversement
économique du marché ; il n'en constitue pas le
critère".

Et contrairement à ce qui a été soutenu, lors de
la séance du conseil municipal du 28 avril 2008,
à propos de l'un des avenants, la jurisprudence
ne fait pas "état de 12 à 15 % d'augmentation au
maximum" ("Le Dauphiné Libéré", édition grand
Valence et vallée du Rhône, du 28 avril 2008)
pour décider s'il y a ou non bouleversement de
l'économie du marché.
En effet, le Conseil d'Etat a, par exemple, estimé
qu'un avenant représentant 38% du marché
initial ne bouleversait pas l'économie du contrat
(CE 13 juin 1997, Commune d'Aulnay-sous-Bois).
En revanche, un tel bouleversement a pu être
retenu lorsque l'avenant augmentait de plus de
43 % (CE 8 mars 1996, Commune de Petit-Bourg)
ou de plus du tiers (CE 30 janvier 1995, Société
Viafrance) le montant initial du marché.
De même, est illégal l'avenant qui a pour effet
de dépasser les seuils de recours aux
procédures d'appels d'offres (CE 29 juillet 1994,
Communauté urbaine de Lyon).


3 - Un avenant ne peut "changer l'objet" du marché :

Apparaît ici la notion de prestations dissociables qui,
modifiant l'objet du marché initial, conduisent à
considérer que l'on est en présence d'un nouveau
marché (CE 30 janvier 1995, Société Viafrance ;
CE 28 juillet 1995, Préfet de la région Ile-de-France
/Société de gérance Jeanne d'Arc).


4 - L'avenant doit enfin être autorisé par l'assemblée
délibérante de la collectivité territoriale concernée.
En effet, s'agissant de la Commune, le maire ne peut
signer l'avenant que moyennant une autorisation
préalable du conseil municipal.
Mais, un avenant, s'il respecte les conditions
sus-indiquées, peut régulariser des travaux antérieurs
(CE 13 juin 1997, Commune d'Aulnay-sous-Bois,
précité : "Considérant que le principe de non-
rétroactivité des actes administratifs ne faisait pas
obstacle à ce que le maire d'Aulnay-sous-Bois fût
autorisé par les délibérations attaquées du 25
octobre 1990 à passer les avenants au marché
initial pour la poursuite de la réalisation de ses
prestations au titre des années 1989 et 1990".


Quelle est alors la situation juridique si une
entreprise effectue des travaux en l'absence
d'avenant, d'ordre écrit ou verbal de la Commune ?
Lorsque les travaux sont indispensables (selon les
règles de l'art, et sous réserve de l'appréciation
des juridictions administratives), et pas seulement
utiles à la bonne exécution du marché initial, la
jurisprudence admet l'indemnisation de
l'entrepreneur (CE 17 octobre 1975, Commune de
Canari ; CE 4 novembre 1988, administration
générale de l' Assistance publique à Paris
/entreprise Bernard).
En effet, l'absence d'indemnité au profit des
entreprises ou du maître d'oeuvre réaliserait
un enrichissement sans cause de la Commune.
Mais selon la théorie (et la pratique) de l'enrichi-
ssement sans cause, l'indemnisation est limitée
à la plus faible des deux sommes que constitue
l'enrichissement procuré ou l'appauvrissement
subi (ce qui peut correspondre à une somme
inférieure au montant d'un avenant conclu
selon les règles du Code des marchés publics).
Enfin, si le conseil municipal refuse à tort d'
autoriser le maire à conclure les avenants, cette
illégalité entraîne la responsabilité administra-
tive de la Commune.
Patrick CANIN
Maître de conférences à la Faculté de droit de Valence