jeudi 18 décembre 2008

Réflexions sur trois projets de loi, quelques jours après
le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle
des droits de droits de l'homme du 10 décembre 1948.
L'article 19 de cette Déclaration proclame :
"Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression,
ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses
opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre,
sans considérations de frontières, les informations et
les idées par quelque moyen d'expression que ce soit".

Le Pacte de 1966 sur les droits civils et politiques reprend
presque mot à mot cette stipulation.
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26
août 1789 (article 10), qui fait partie intégrante du bloc de
constitutionnalité et qui, par conséquent, s'impose au législateur
dans toutes les circonstances qui s'y prêtent, comprend des
dispositions similaires. Il en est de même de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales du 4 novembre 1950 ; tout comme d'ailleurs la
Charte de l'Union européenne proclamée à Nice, le 7 décembre
2000, qui de plus ajoute "La liberté des médias et leur
pluralisme sont respectés".

Or , voici les termes de projets de loi méconnaissant ces
instruments normatifs :

- Projet de loi (modifié par le Sénat) relatif à la protection du
secret des sources des journalistes
:
Article 2, alinéa 3 (nouvelle rédaction) de la loi du 29 juillet 1881
sur la liberté de la presse :
"Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au
secret des sources des journalistes que si un impératif
prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures
envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées
au but poursuivi".
On conviendra aisément qu'une telle formule singulièrement
large (qu'est-ce qu'un impératif prépondérant d'intérêt public ?
une atteinte à l'ordre public ? Mais lequel ? L'ordre public
constitutionnel, économique [de direction, de protection?],
social ?) autorise tous les abus de pouvoir.

- Projet de loi adopté par le Sénat favorisant la diffusion et la
protection de la création sur Internet qui prévoit
comme sanction du fait, pour le titulaire d'un accès à Internet,
de ne pas veiller à ce que l'accès ne fasse pas l'objet d'une
utilisation à des fins de reproduction, de représentation,
de mise à disposition ou de communication au public, sans
autorisation, d'oeuvres protégées par un droit d'auteur :
la suspension de l'accès au service pour une durée d'un
mois à un an, assortie de l'impossibilité pour l'abonné de souscrire,
pendant la même période, un autre contrat portant sur l'accès
à un service de communication en ligne auprès de tout
opérateur (article L.331-25 nouveau du Code de la propriété
intellectuelle).
Les auteurs du projet ont-ils suffisamment mesuré qu'une telle
sanction prononcée par une commission porte atteinte au droit
d'accès à l'information ?

- Projet de loi relatif à la réforme de la communication
audiovisuelle :
Article 47-4 nouveau de la loi du 30 septembre 1986 relative à la
liberté de communication :
"Les présidents des sociétés France Télévisions (qui, désormais,
regroupera [retour à l'ex-ORTF, la voix du pouvoir exécutif ?]
les diverses sociétés du secteur public, et dont l'Etat détiendra
la tolatité du capital), Radio France et de la société en charge de
l'audiovisuel extérieur de la France sont nommés par décret
pour cinq ans après avis conforme du Conseil supérieur de
l'audiovisuel".
De plus, les mandats de ces présidents peuvent leur être retirés
par décret motivé, après avis conforme, également motivé du
Conseil supérieur de l'audiovisuel (article 47-5 de la loi précitée).
Il y a une grande différence entre une nomination par le Conseil
supérieur de l'audiovisuel (autorité administrative indépendante),
comme c'est le cas actuellement, et la nomination par décret du
président de la République. En effet, comme l'écrivait un éminent
juriste, publiciste, Charles Eisenmann, in "La justice constitutionnelle
et la Haute Cour constitutionnelle d'Autriche",1928, rééd. Paris,
Economica et PUAM 1986, p.175), pour être indépendant il faut
"Ne rien craindre ni attendre de l'autorité de nomination".

Patrick CANIN
Maître de conférences à la Faculté de droit de Valence

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